Source : La vie éco - Sana Guessous
L’architecte et anthropologue Salima Naji restaure des vieux monuments
du Sud du Maroc. Elle redonne la mémoire aux Marocains, obsédés par
l’Occident, oublieux de leur histoire et de leurs antiques gloires.
Commencent alors des échappées belles
à Ouarzazate, Dadès, Tafilalet, Figuig, le Haut-Atlas… Des contrées que
Salima Naji connaît depuis toujours. «Enfant, je voyageais beaucoup
avec mon père, géomètre et topographe. Ma mère française adorait ces
endroits, elle aussi. Cet amour-là m’a été transmis par eux deux. Nous
allions chez les gens, spontanément, parce qu’il n’y avait pas d’hôtels à
l’époque. Nous étions donc pleinement immergés dans l’atmosphère. Cette
vie m’a permis de grandir, de me construire sans préjugés. Et, surtout,
d’avoir envie de tout mettre en œuvre pour sauver le bâti de ces
régions, mais aussi les hommes. Car derrière les bâtisses, il y a les
humains, on l’oublie hélas trop souvent».
Construire avec le peuple
Voilà qui fait penser à Hassan Fathy
(1900-1989), cet architecte égyptien qui entreprit de «construire avec
le peuple» la Nouvelle Gurna, une cité édifiée grâce à des ressources
exclusivement locales : des paysans-maçons formés sur le chantier et des
matériaux de construction millénaires, comme la brique de boue. «Je
m’inspire aussi du travail du Suisse Peter Zumthor et de l’Italien Renzo
Piano. Ces grands architectes ont su allier hyper-modernité et
techniques rustiques, venant de très loin», confie Salima Naji,
passablement en rogne contre ces bâtisseurs de «neuf» «qui sont
complètement à côté de la plaque et consomment énormément d’énergie. Le
ciment, il faut le faire venir d’Agadir alors que nous avons, à portée
de main, toutes sortes de techniques qui ont fait leurs preuves, qu’il
faut réinvestir».
Des
techniques vernaculaires marocaines réputées écologiques comme le pisé,
la pierre, le bois ou les stipes de palmier. «Je travaille à chaque fois
avec les artisans locaux», insiste l’architecte-anthropologue,
fermement résolue à sauver le plus de monuments traditionnels possibles,
comme les Ksours d’Assa et d’Agadir Ouzrou. Mais ce qui subjugue la
passionnée, ce sont les greniers-citadelles, des bâtiments
communautaires fortifiés de l’Anti-Atlas, destinés à protéger des
denrées comme l’orge, les amandes ou les noix d’argane. «J’y ai consacré
ma thèse. J’essaie d’en restaurer un chaque année. Les fonds américains
ont beaucoup aidé à réhabiliter les deux derniers greniers, des
merveilles. J’interviens pour ma part à titre bénévole».
Pour
Salima Naji, chaque architecte marocain devrait, au moins une fois dans
sa carrière, sauver un monument historique de l’oubli. «Nous serions
dans un pays qui garderait ses composantes», martèle-t-elle. Un pays qui
cesserait d’associer le progrès à l’Occident, systématiquement. Qui se
dénigrerait moins, qui aurait moins honte de ce qu’il est. Qui
recouvrerait des pans de sa mémoire, serait fier de ce qu’il fut, qui
avancerait peut-être enfin.
Un peuple sans histoire n’a pas de visage
«J’ai peur que nous perdions cette
civilisation des oasis. Que nous oubliions Sijlmassa, les royaumes
juifs, les dynasties, almoravide, almohade, saadienne. Ce serait une
grande perte, une perte civilisationnelle». L’anthropologue aime à
rappeler l’exemple des façades de maisons dites «marocaines» à Djenné, à
quelque 370 kilomètres de Bamako. Un souvenir du règne d’Al-Mansour
Ad-Dahbi, cette époque où le Maroc s’étendait jusqu’à l’actuel Mali. «Un
peuple sans histoire n’a pas de visage, comme on dit. Il faut toujours
savoir d’où on vient et où on va». Sur son blog, Salima Naji pousse un
coup de gueule mémorable contre des «architectes de Casablanca». «J’ai
découvert que ces splendides régions où je travaille étaient pour eux
“misérabilistes”. Pour eux, présenter des traditions constructives
(revisitées) de notre pays donnerait l’image d’un pays “tiers-mondiste”,
etc. Mais qu’est-ce que c’est que cette vision post-coloniale de
cerveaux traumatisés par une illusion du progrès par les matériaux ?
Cerveaux acculturés qui ne connaissent pas leur propre pays ?»
Mais la jeune femme ne s’attarde pas beaucoup sur ces vaines opinions.
«Je
suis en train de restaurer le minaret d’Akka avec le ministère de la
culture. Je travaille beaucoup sur Tiznit aussi. Mes projets sont
transversaux, ils touchent à la culture, au développement local et bien
sûr à l’architecture locale». Et n’allez pas lui dire qu’elle restaure
des monuments traditionnels par nostalgie. «Je ne cherche pas à figer le
passé. Je ne suis pas enfermée. Mon approche n’est pas romantique mais
responsable. J’ai la chance d’être dans un pays qui a une immense
richesse. On peut garder le passé et être dans une grande modernité. On
le fait déjà très bien pour le caftan, la cuisine ou le tadelakt.
Pourquoi pas pour l’architecture ?».
Brièvement : Salima Naji
- 1971 : Naissance à Rabat.
- 2003 : Décroche son diplôme d’architecte à l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris La Villette.
- 2004 : Démarre le projet de restauration des ksours et greniers collectifs du Sud marocain.
- 2010 : Honorée par la cérémonie du Takrim de l’ordre des architectes du Royaume.
- 2013 : Poursuit son aventure patrimoniale, régulièrement racontée sur le site www.salimanaji.org.
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